Lettre 39 - 1/7/2007

Un prophète nous a quittés. André CHOURAQUI s’est endormi dans l’espérance de la Résurrection le 9 juillet à Jérusalem entouré de ses proches et a été enterré au Mont des Oliviers.

Né le 11 août 1917 à Aïn-Témouchent en Algérie, il mène parallèlement études de droit et études rabbiniques en Algérie puis en France. Il est juge de paix à Michelet et Bou-Saada de 1946 à 48 et se lie d’amitié avec un autre grand Algérien, Prix Nobel de Littérature, Albert CAMUS.

Installé en Israël en 1958, il est conseiller de David BEN GOURION de 1958 à 1964 pour les problèmes de l’intégration des Juifs originaires des pays musulmans et pour les relations inter-communautaires. Il est Maire-adjoint de Jérusalem de 1965 à 1974.

Il est avant tout un prophète de notre époque, proclamant à temps et à contre-temps les Dix Paroles données à Moïse au Sinaï pour toute l’humanité, le Décalogue auquel René CASSIN, rédacteur principal de la Déclaration universelle des droits de l’homme, se plaisait à comparer cette dernière.

Il avait fondé, avec Jules ISAAC et le Père Michel RIQUET, l’Amitié judéo-chrétienne. Il fut, comme Bruno HUSSAR (fondateur de Neve Shalom), parmi ceux qui intervinrent auprès de Jean XXIII puis de Paul VI pour faire aboutir la Déclaration Nostra Aetate sur l’attitude de l’Eglise à l’égard des religions non chrétiennes et singulièrement de sa déclaration sur les Juifs, adoptée par le Concile de Vatican II en 1965.

En 1967, en pleine Guerre des Six Jours, il fondait avec le Recteur de la Mosquée de Paris, Si Hamza BOUBAQUEUR, le Père Michel RIQUET et Jacques NANTET, la Fraternité d’Abraham, dont la vocation est d’affirmer l’origine commune en Abraham des trois traditions monothéistes et le devoir qui en découle pour chaque Juif, Chrétien et Musulman, de reconnaître et de respecter les deux autres comme un frère ou une soeur, dépositaire du même message d’amour et de paix donné par le Très Misécordieux. Une plaque dévoilée à la Grande Mosquée lors du 40è anniversaire de la Fraternité le 25 mars dernier, commémore cet évènement.

Il était Membre d’Honneur d’Artisans de Paix dont il soutenait le projet de créer au Sinaï un lieu permanent de rencontre, de méditation, de prière et de travail en commun, réunissant des fidèles des trois traditions monothéistes et plus largement tous hommes et femmes de bonne volonté, oeuvrant au service de la paix, au Proche Orient et dans le monde.

Son oeuvre littéraire est immense. Ses traductions de la Bible hébraïque et du Nouveau Testament (ouvrage couronné par l’Académie française, médaille d’or du Prix de la langue française) puis du Coran font date dans l’oeuvre de reconnaissance mutuelle de nos origines et de réconciliation entre nos traditions. Comme il le dit lui-même:

“Le traducteur moderne doit faire un effort sans précédent pour mettre fin à la guerre des cultures, des théologies et des idéologies.

“Il doit s’efforcer de coller autant que faire se peut au sens premier du texte qu’il interprête et, à cette fin, analyser chaque racine à la lumière de nos connaissances actuelles en linguistique et en philologie comparée, en sémantique analytique, structurale et générative, synchronique ou diachronique.

“Il est nécéssaire de “décoloniser” les traductions de la Bible et du Coran, afin de faire de ces livres de vrais ponts entre les peuples et les cultures, plutôt que des armes employées pour la diffusion d’orthodoxies de toute nature. Ces textes ont inspiré la naissance de trois grandes religions, de multiples confessions et de sectes sans nombre, mais ils n’appartiennent à personne. “Pourquoi la Tora a-t-elle été révélée dans un désert, le Sinaï?” interrogeaient les rabbis. Et leur réponse était claire:”Afin que personne ne puisse dire: “Elle m’appartient puisqu’elle a été révélée chez moi”.” (André CHOURAQUI: Mon Testament – le Feu de l’Alliance, Bayard, Paris 2001, Pp.97-98).

Son “Moïse” (Editions du Rocher, 1995, Prix Méditerranée) est une fresque somptueuse à la Michel-Ange qui dépeint le plus grand des prophètes, de très loin le plus cité des prophètes dans le Coran, celui que le 7è article de foi de Maïmonide décrit comme “le chef de tous les prophètes, de tous qui l’ont précédé et de tous ceux qui l’ont suivi”.

Natân André CHOURAQUI est l’un de ces successeurs. Par sa parole et par ses actes concrets il a voulu témoigner de la Révélation faite à tout le genre humain, inscrite dans la Bible, les Evangiles et le Coran, qui rappelle que tous les êtres humains sont frères et appelés à s’entendre. Il a vécu et il est mort à Jérusalem, cette cité de la paix, au milieu des conflits à répétition du Proche-Orient et singulièrement entre ces frères les plus proches que sont les Israéliens et les Palestiniens. Toute son oeuvre, toute sa vie, ont été consacrées au service de la paix et de la réconciliation. Nous, Artisans de Paix, avons à coeur de l’écouter et de suivre son exemple en réalisant le projet de Germe de Paix au Sinaï, initié par Madeleine FRAPIER et repris par Aude FONQUERNIE. Voir le texte ci-joint.

Au moment où André CHOURAQUI nous quitte pour entrer dans la Shechina nous écoutons et nous méditons ses paroles de prophète :

« Pendant la nuit de nos guerres, le feu de l’Alliance semblait définitivement éteint par l’horreur des fours crématoires. Mais l’amour ne saurait mourir: il est présent dans l’être de toute créature, de toute vie. Le choix ouvert par Moïse au Sinaï entre la vie et la mort, entre la bénédiction et la malédiction, se pose pour les hommes de notre temps… »

« Cette utopie d’une réconciliation universelle de l’humanité pacifiée conditionne l’avenir des innombrables progrès réalisés dans tous les domaines du savoir, considérés traditionnellement comme utopiques. »

« La réalisation de l’utopie de la fin des temps de la haine et des guerres a commencé universellement ; ses progrès n’attendent plus qu’une adhésion: la vôtre. »

(André CHOURAQUI, Mon Testament op.cit. Pp.187-8)

Edmond LISLE, Président