Lettre 55 - 25/6/2012


Si nous explorons le Labyrinthe de la Cathédrale de Chartres, nous faisons l’expérience qu’il y a un seul chemin, avec des personnes devant et derrière nous : ce qui exclue le relativisme des religions au profit d’une mise en relation entre Personnes.



L’appel des Artisans de Paix
Au croisement de la Grâce et des forces telluriques (1) traversant notre humanité

Le labyrinthe de la cathédrale de Chartres intrigue nos contemporains. A quoi pouvait-il servir à nos ancêtres ? En se posant cette question, les hommes d’aujourd’hui commencent à entrer dans la voie voulue par les concepteurs du labyrinthe. Ils entrent dans son mystère d’une façon nouvelle, à hauteur d’aujourd’hui, c’est-à-dire à la frontière entre la Grâce éternelle et les passions modernes qui expriment d’une façon actuelle les forces telluriques qui traversent l’humanité de tout temps. Vivre à cette frontière est l’Appel des Artisans de Paix, c’est pourquoi nous avons choisi le Labyrinthe de la Cathédrale de Chartres comme Logo, témoignant ainsi que le propre d’un Mystère n’est pas d’être incompréhensible mais d’être inépuisable (2), contemporain de chaque époque.

« Le Labyrinthe est connu par le grand public pour les forces telluriques en son centre. Ces forces n’ont jamais été prouvées par les appareils de la science actuelle, ce qui ne veut pas dire qu’elles n’existent pas, car certains ressentent quelque chose, qui ne sont ni illuminés, ni païens. Mais la richesse du labyrinthe est d’une toute autre nature » nous disent les guides commentateurs. Ce qui est certain, c’est que le symbole est universel. Témoins en sont les étymologies du mot « Labyrinthe ».

Le mot latin « laborintrus » comporte la racine « labor », travail, effort. Dans la même famille sémantique, « labrum » signifie le sillon ouvert par le « labrus ». Le « labrus » est une hache à double tranchant, qui a les mêmes effets que le Verbe créateur : elle sépare le bien du mal, le haut du bas, le spirituel du profane. En Genèse 1, Dieu crée en séparant par la Parole (3). Dans la tradition hébraïque, le Saint est le « séparé ». Peut-être est-ce là qu’il faut chercher l’origine des « forces » signalées au centre du labyrinthe ! « Forces » telluriques de la terre éprouvées d’autant mieux qu’elles sont retournées par le Souffle d’En Haut, le Verbe créateur, et s’évacuent en Lui. Le labyrinthe serait dans ce cas un « nœud » qui réoriente toutes ces « forces » vers un lieu saint, le Verbe créateur en qui nous sommes appelés à nous ressourcer, chacun et ensemble, pour former un Peuple de peuples Artisans de Paix. Le « labrus » est l’instrument qui relie en distinguant le terrestre et le céleste, la chair et l’Esprit au sens où en parle saint Paul (Gal 5,19-26). Il produit des effets sismiques et thermiques d’autant plus sensibles que le travail de retournement est important. Il produit enfin dans le cosmos tout entier une transfiguration de la matière appelée à une nouvelle vie.

Une autre origine du nom serait « labra » qui désigne les « cavernes », les « galeries de mines » et « inthos » suffixe de racine pré-indo germanique signifiant les « jeux d’enfants ». Ainsi « labra-inthos », labyrinthe, désignerait « les jeux de la caverne ». Le labyrinthe serait alors un symbole du mythe platonicien de la « caverne », avec ses jeux d’ombres et de Lumière, le long du parcours qui conduit du profane au sacré, de l’opinion illusoire à la connaissance illuminée. Dans la « Cité de Dieu » saint Augustin synthétise ces deux origines du mot « laborinthus », le « labra » et le « labrus ».

 

L’an II du printemps arabe, jeux d’ombres et de lumière, précarité du chemin

En restant à l’école du Labyrinthe, les Artisans de Paix sont invités à visiter les cités terrestres sans jamais désespérer. Sujettes à évolution ou objets de révolutions, les cités requièrent toute notre vigilance. « Les révolutions ne sont achevées dans aucun des pays où elles ont eu lieu », constate Samer Shehata, spécialiste du Moyen-Orient à l’Université de Georgetown, à Washington. Requérant notre attention d’ « apprentis – artisans de paix », l’an II du printemps arabe se vit avec des transitions démocratiques précaires et la consécration de l’islam politique dans plusieurs pays d’une région toujours en proie à de vives tensions. De Tunis au Caire, de Tripoli à Damas ou Sanaa, la physionomie de cette partie du monde est profondément bouleversée.

Ce véritable « tsunami » a « déplacé les plaques tectoniques et va provoquer des répliques avant de déboucher, un jour, sur des États prédémocratiques dans la meilleure des hypothèses », estime Antoine Basbous, qui dirige l’Observatoire des pays arabes à Paris Faire partir des dictateurs comme le Tunisien Zine el-Abidine Ben Ali ou l’Égyptien Hosni Moubarak « aura peut-être été la partie la plus facile du changement. La transition vers une société démocratique s’avère bien plus compliquée et aléatoire que renverser le régime lui-même », estime Ibrahim Sharqieh, du Centre basé à Doha de l’Institut américain Brookings. Les forces telluriques sont à l’œuvre. Aux hommes de décider de leur orientation, vers plus ou moins de liberté, plus ou moins d’Intériorité.

La Tunisie, qui a connu le premier soulèvement en décembre 2010, semble aujourd’hui le pays le plus avancé dans sa transition, après l’élection en octobre 2011 d’une Assemblée constituante où le parti islamiste Ennahda est arrivé en tête. L’Égypte a élu le 24 juin 2012 comme président, un Frère musulman qui veut appliquer la Charria.  La Libye, un an après le début du soulèvement mi-février, est toujours dans une zone de fortes turbulences malgré la victoire des insurgés et la mort du dirigeant Mouammar Kadhafi en octobre 2011. Le Yémen a connu en  février une élection présidentielle, avec un candidat unique pour remplacer le chef de l’État sortant Ali Abdallah Saleh, contesté dans la rue depuis plus d’un an. Et au Bahreïn, la révolte qui avait débuté en février 2011 a été étouffée, mais la tension demeure dans ce petit État à la population majoritairement chiite, dirigé par une monarchie sunnite. Quant à la Syrie, plongée dans la tourmente depuis mars de l’an dernier, elle ne parvient pas à sortir de l’engrenage de la violence. « La situation critique de la Syrie risque de se répercuter sur la stabilité de nombreux pays voisins comme le Liban, Israël, l’Irak, la Turquie ou la Jordanie », estime Nabil Abdel Fattah, du Centre d’Etudes al-Ahram au Caire.

Souvent lancées par des mouvements de jeunes utilisant toutes les ressources d’Internet, les révoltes se traduisent aujourd’hui par le triomphe de mouvements islamistes autrefois réprimés ou tenus en lisière du système politique. « Le premier acteur du changement est la jeunesse. Les premiers bénéficiaires sont les islamistes parce qu’ils sont structurés et ont des racines profondes dans la société, contrairement aux jeunes qui n’ont pas eu le temps de s’organiser », relève Antoine Basbous. La capacité ou la volonté de ces partis islamistes de consolider la démocratisation reste l’une des grandes questions. Pour Ibrahim Sharqieh, cette poussée « ne doit pas être vue comme une menace pour la démocratie, au moins pour l’instant, car ces partis se sont montrés capables de travailler avec d’autres, et de se plier aux règles démocratiques ». D’autres experts s’inquiètent toutefois du double discours de certains mouvements islamistes, selon qu’ils s’adressent à un auditoire extérieur ou à leur électorat local. « On entend un discours tolérant et modéré quand il s’agit d’encourager le tourisme et les investissements, mais la réalité peut être différente, avec une base plus conservatrice que la direction du parti », estime M. Abdel Fattah. « Pour réussir, les islamistes doivent pratiquer le “réal-islamisme” et abandonner le slogan : “l’islam, c’est la solution” », estime Antoine Basbous.

Si l’Islam en tant que doctrine ne peut être la solution, « la remise confiante à Dieu dans la paix » est certainement la voie que signifie l’Islam spirituel qui est l’Islam authentique. L’espérance de la Paix qui se donne à tout homme chercheur de Dieu en son for intérieur, nous soutient sur le chemin. Le désir de Dieu est une voie sûre quand elle persévère dans la quête de l’Hôte intérieur. Elle est le meilleur chemin pour nous ouvrir aux autres, ce qui est le Commencement de la démocratie.

 

La voie sûre du Pèlerinage Intérieur

Les labyrinthes existent dans le monde entier depuis des millénaires, comme les forces telluriques. Les plus anciens datent de 15.000 ans. Faits de cavernes et de carrières, ces lieux sous terre étaient des lieux initiatiques. L’homme, dans le monde entier, a conscience de la dégradation de son état sur terre par rapport à la mémoire archétypale qui est en lui. Pour les traditions de la Révélation, Adam et Eve sont les modèles archétypaux par où, tout a commencé. Nous cherchons à retrouver l’état adamique de pureté originelle, celui où Adam possédait la « Parole » c’est à dire la possibilité de créer en nommant comme le fait Dieu. Pour cela, nous cherchons à reconstruire sur terre une cité à la « ressemblance » de celle des cieux, nous cherchons à retrouver le Paradis perdu, la Parole perdue. Le nom choisi est Jérusalem car il symbolise le lieu de la venue du Messie sur terre.

Entrer dans « Jérusalem, Cité de Paix » est la finalité de l’Islam authentique, comme c’est la finalité du Judaïsme, de la Chrétienté et de toute vraie religion. Le pèlerinage dans la ville terrestre de Jérusalem que nous allons vivre en novembre 2012, est en fait un pèlerinage initiatique. Au Moyen Age, à l’époque des croisades et des conquêtes, des personnes désireuses d’aller à Jérusalem et qui n’en avaient pas les moyens, faisaient à genoux le parcours du Labyrinthe de la Cathédrale de Chartres. Elles étaient ainsi conduites d’un chemin conquérant vers une voie intérieure. Ce retournement est notre espérance dans les pays arabes mais aussi en Israël où les conditions de la paix ne seront rassemblées que lorsque seront trouvées celles d’un partage équitable de la terre. Il est notre espérance en Europe et sur tous les continents. Il illustre notre combat intérieur « ici et maintenant » : le « Grand Djihad » qui fonde la Fraternité islamique des Artisans de Paix, l’actualisation du « Grand Pardon » qui fonde la Fraternité Hébraïque et celle du « Samedi Saint » qui fonde la Fraternité Eucharistique des Artisans de Paix. Il nous a inspiré le choix du Logo des « Artisans de Paix en advenir ».

Le Labyrinthe est avant tout un Chemin de l’Ame en quête de son Centre, l’Intériorité que les prophètes et les mystiques de toutes les traditions rencontrent comme une Présence « plus intérieure à soi-même que soi-même, plus extérieure que toute extériorité » (saint Augustin, 354-430, sous la double égide du Christ et de Platon). Pour sainte Thérèse d’Avila (1515-1582) et saint Jean de la Croix (1542-1591), tous deux réformateurs du Carmel en Espagne, mais aussi pour Al Ghazali (1058-1111, théologien soufi perse) et Ibn Arabi (1165-1240, théologien juriste, poète, métaphysicien, maître soufi arabe andalous du taçawuff, considéré comme le « sceau de la sainteté » en Islam), ainsi que pour Bahya Ibn Paquda (mystique juif du 11ème siècle) et pour les prophètes du Premier Testament, Dieu est Intériorité, mais « Il y a plus d’Intériorité dans l’Extériorité que dans l’Intériorité pure » (Bienheureux Henri Suso, 1295-1366, religieux catholique qui a répandu la mystique rhénane de Maître Eckart). C’est que l’Intériorité en question transcende les religions et les personnes de l’intérieur d’elles-mêmes, ouvrant pour chacun(e) qui la suit, un chemin de sortie de soi, surabondant de vie en soi, pour soi et pour les autres.

Si nous explorons le Labyrinthe de la Cathédrale de Chartres ne serait-ce qu’un moment, nous faisons l’expérience qu’il y a un seul chemin mais qu’il y a des personnes devant et derrière nous : ce qui exclue le relativisme des religions au profit d’une mise en relation entre les personnes. Nous vivons avec ceux qui nous entourent et sommes obligés de respecter leur rythme. Nous croisons des personnes qui vont en sens contraire du nôtre. Nous pouvons croire qu’elles vont dans le mauvais sens alors qu’elles sont peut-être plus avancées que nous dans le Labyrinthe. Le labyrinthe est une école de tolérance et d’humilité. Très vite on est près du centre, on croit qu’on va aboutir et au bout de 200 mètres de déroulé, on est sur le parcours le plus extérieur, on croit qu’on n’arrivera jamais ; c’est alors qu’on arrive au Centre, à la Jérusalem céleste, le lieu où l’on voit Dieu. Cette « école du Labyrinthe » sera la matière du Séminaire Spécialisé de Recherche et Formation AIDOP / Artisans de Paix, portant sur la « Spiritualité de l’interreligieux ». Vous trouverez la Mémoire du Chemin pratiqué par les Artisans de Paix ainsi que l’Agenda de la rentrée sur notre nouveau site www.artisans-de-paix.org. Si vous l’appréciez, merci de nous aider à le financer par vos cotisations. Celles-ci sont notre seule source de financement. Très bon été à tous.

Paula Kasparian,
Présidente des Artisans de Paix,
En chemin entre le déjà là et le pas encore :
Artisans de Paix que nous espérons être,
Artisans de Paix pèlerins en marche,
Artisans de Paix en advenir…

 

1 Est tellurique, ce qui provient de la terre : une secousse sismique, une variation thermique etc…

2 C’est comme cela que saint Augustin parlait du Mystère de la Trinité

3 Tel est le sujet de la thèse de doctorat de l’exégète catholique Paul Beauchamp sj


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