Lettre 65 - 16/12/2015


Le difficile combat contre l’intégrisme, par Tarik Abou Nour.

Si lutter contre les groupes intégristes et leurs idées paraît impossible, notamment à cause de la propagande sur internet, d’autres pistes pourraient être envisagées : renforcer la formation des imams, multiplier les actions culturelles ou encore tendre la main aux banlieues.




Des sectes émergent dès le premier siècle de l’Hégire telles les Kharijites, les qadarites (fatalistes), les Jabriyya, les anthropomorphistes, les Mu’attila…

La première secte « littéraliste » et son danger :

Le Prophète de l’Islam a dit à propos d’un certain Thul-Khuwaisarah at-Tamîmî qui est considéré comme le premier Khârijî à surgir dans l’Islam : « Il surgira de la progéniture de cet homme un peuple qui récitera le Coran, mais le Coran n’ira pas au delà de leurs gorges; ils traverseront la religion comme une flèche traverse sa cible » Rapporté par Al-bukhârî et Muslim.

Les Khawârij sont apparus suite au différend entre ‘Ali (4éme Calife) et Mu‘âwiya. Ils ont refusé l’arbitrage entre ‘Ali et Mu`âwîya à l’issue de la bataille de Siffîn qui les avait opposés en 657. Cette bataille entre musulmans avait été meurtrière et ‘Ali accepta l’idée d’un arbitrage pour arrêter le bain de sang. Les Khawârij ont prétendu que l’arbitrage est à Allah seul… Et ils ont décidé de tuer ‘Ali, Mu‘âwiya et ‘Amr Ibn al-‘âs… Durcissant leur position, d’un point de vue théologique aussi, ils ont prétendu la subordination de la foi aux œuvres: tout péché grave (pour eux) est une infidélité manifeste à l’égard de Dieu, et celui qui le commet doit être considéré comme s’excluant, de lui-même, de la religion, et être traité en conséquence…

Les Khawârij ont été qualifiés par le Prophète (avant même leur apparition) comme étant des gens qui faisaient beaucoup d’actes cultuels -même beaucoup plus que les compagnons eux mêmes-, mais que suite au fait qu’ils interprétaient le Coran au premier degré, sans tenir compte des convenances et des règles ni de la sunna, leurs cœurs étaient fermés et n’avaient aucun égard à la spiritualité ni aux finalités de la législation (Maqâsid)… ‘Ali les a combattus d’abord par l’argument scientifique en envoyant l’éminent savant Abdellah Ibn Al ‘Abbâs qui a battu 100 000 Khariji par la preuve du Coran (ce même texte qu’ils ont interprété à tort pour dévier). Ces derniers rejoignirent ainsi les rangs de la Jamâ’a (du groupe). Puis ‘Ali mit les plus aveuglés parmi ce qui restaient inflexibles sur leur déviance complètement en déroute à An-naharwân, à la 37ème année de la Hijra[659 de l’ère chrétienne]). Ces derniers représentaient en effet une vraie menace pour la foi et la sécurité de l’Etat et leur interprétation des textes était superficielle et dangereuse…Ils étaient derrière l’assassinat et la tuerie de plusieurs grands compagnons : car les Khawârij (surtout les Azâriqa) considéraient ceux qui n’étaient pas d’accord avec eux, comme des mécréants.

Ali fut assassiné par un Khariji la nuit de la Valeur (laylat al Qadr). Ce dernier –dans son aveuglement sectaire- croyait se rapprocher de Dieu pendant cette nuit sacrée par cette assassinat !!

Un autre extrémisme : Les mu‘tazila – mu’tazilites : rationalistes/litt. ceux qui se sont mis à l’écart

Apparue plus tard à l’époque ‘Abbassite, cette secte vénérait la raison au point de l’opposer à la révélation, elle propagea des idées hétérodoxes. Le plus célèbre d’entre ceux qui professèrent ces idées fut Ghilâm al-damasqi ou al-qadarî. D’où la « théorie d’Al Qadariyya » parce que ses adeptes renient Al-Qadar (le Destin ou la prédestination).
Les tenants de la théorie Mu’tazilite discutèrent la révélation du Coran. Ils prétendirent que le Coran est une création de Dieu et non pas Sa parole et portèrent certains califes à répéter leurs affirmations. Un certain nombre de savants, parmi lesquels figure l’Imâm Ahmad Ibn Hanbal, furent persécutés parce qu’ils ont rejeté cette théorie.  Les mu`tazilites, prétendent faire triompher une seule vérité à l’aide de la raison. Pour le cadi (juge) mu’tazilite `Abd al-Jabbâr (m. dhû l-qi`da 415/. 4 juillet 1025), par exemple, si Dieu avait créé l’homme pour la désunion, il l’aurait prédestiné à la damnation.

De nos jours, les Mu’ataziles ont vêtu d’autres habits « plus à la mode» et militent pour vider la religion de toute pratique afin qu’elle soit une simple « idée » de l’absolu ou une culture sans aucune spiritualité. En bref, une religion à la carte où la raison pilotée par la passion (al hawâ) est maître.

Dans un contexte politique et religieux très agité, des écoles rigoureuses sont nées et ont su répondre avec fermeté et efficacité aux questions et aux préoccupations du monde musulman en établissant des règles strictes d’interprétation du texte sacré et de déduction des avis juridiques afin de préserver le texte de l’instrumentalisation pour des fins terrestres. 

Elles ont su conserver au fil du temps leur notoriété et ont obtenu l’unanimité presque partout en terre d’Islam. Elles ont comblé ainsi – grâce aux efforts de leurs élèves, successeurs fidèles et qualifiés – un vide dangereux en matière de droit musulman en relation avec les questions d’actualité.  Il s’agit pour la discipline du droit, de l’école malékite, hanafite, shâfi‘ite et hanbalite, pour le crédo (‘Aqida) de l’école ‘Ashaarite et Matouridite essentiellement. Ces écoles ont su concilier le texte et le contexte, l’authenticité et les questions de l’actualité.

Fatwa et contexte

La Fatwa consiste en une interprétation (ou une compréhension) du texte traditionnel en vue de statuer sur un sujet ou émettre un ordre légal, c’est le domaine exclusif des savants compétents. Il peut s’agir aussi d’un effort juridique (Ijtihâd) du savant si le texte traditionnel est absent. La discipline de la Fatwa et de l’interprétation du texte sacré à ses convenances et ses conditions.

Pour l’islam authentique, l’attitude qui consiste à exclure tout autre sens que le sens immédiat, c’est l’attitude intégriste. C’est une attitude/déformation humaine certes. Simple ignorance ou inconscience, quand elle aspire au pouvoir pour imposer sa règle elle s’appelle intégrisme. Ce n’est donc pas pour avoir trop médité leurs livres saints que certains croyants deviennent intégristes. Bien au contraire, c’est parce qu’ils ne le lisent pas ou pas assez. L’intégrisme n’est pas dans le texte, mais dans l’esprit du mauvais lecteur, son histoire personnelle et surtout son manque de foi.

Mal moderne, secte moderne

Au sujet de « l’intégrisme », Bernard Nadoulek a fait cette remarque fort juste: « L’intégrisme islamique, loin d’être un reflet du passé, représente au contraire une forme détournée de modernité. » [L’épopée des civilisations. Edition Eyrolles, 2005.P.290.]L’esprit de consommation rapide (fast food), du virtuel et de l’attirance vers ce qui brille a atteint aussi les adeptes de la religion, le « shaykh » google a remplacé les savants. Les réseaux sociaux démocratisés sont désormais un terrain fertile pour la propagande sectaire. Les sirènes du sectarisme de tout bord appellent les plus fragiles à une forme de mortification aveugle au mépris de la vie et des valeurs universelles, souillent et détruisent la religion au nom de la « religion ».

Une secte moderne séduit beaucoup de jeunes musulmans à travers le monde et se propage à une vitesse vertigineuse. Le wahabbisme fait partie de ce que certains savants sunnite spécialistes appellent « As-salafiyya An-nassiyya » ; c’est-à-dire la « salafiyya » qui se contente strictement du texte et donc impose un traitement juridique vertical à toute affaire, sans tenir compte du temps et de l’espace (du contexte) (même pour les affaires à divergence connue et les sujets d’actualité).

Les doctrines du wahhabbisme

– Vouloir imposer un avis unique même pour les sujets à divergence connue entre les savants (c’est à dire qu’il ne peut y avoir, selon plusieurs auteurs Wahhabites, deux avis ou plus recevables sur une question de l’Ijtihâd)

– Une interprétation littéraliste

– Renier le fait qu’un musulman Muqallid (le musulman n’ayant atteint le savant) doit suivre une des quatre écoles

– Permettre à tout Muqallid d’accéder à l’effort juridique (Ijtihâd) sans considération des normes et règles émises par les savants des quatre doctrines et autres (ce qui est très dangereux)

– Étendre la notion d’innovation blâmable ou égarée (l’hérésie) à de nombreuses choses nouvelles, même licites (sans considération des règles prescrites par les anciens savants de la sunna pour distinguer les différents types d’innovation)

– Prétendre qu’ils sont « le groupe sauvé » et que tous ceux qui ne sont pas en accord avec eux sont des égarés ou du moins pas conformes aux « traces des salafs »

– Et surtout accuser les soufis, les ash‘arites et beaucoup de musulmans, de mécréance (kufr) et d’hérésie.

Les wahabbis ont été soutenus et utilisés par les britanniques pour contrôler l’Arabie et affaiblir le Califat ottoman (surnommé l’homme malade à l’époque). Ils ont été également favorisés par les tendances du nationalisme arabe (une identité arabe contre le Califat Ottoman). Le new salafisme favorisé par le Petro dollar a su séduire partout dans le monde par son « simplisme » et son intégrisme des populations fragilisées par leur contexte précaire tant spirituellement qu’intellectuellement.  Des livres gratuits, des financements généreux pour des mosquées ou des écoles et même des séjours « tous frais payés » proposés pour être « wahhabisés » sont des leviers de propagandes très efficaces notamment dans un pays comme la France où nos jeunes manquent cruellement d’encadrement et de « vaccin » en matière de religion.

Des mesures contre l’intégrisme

Aucune solution ne peut être uniquement sécuritaire, car on ne pourra pas combattre les sectes (et leurs idées) par la force et la répression uniquement ! Il s’agit d’abord de favoriser l’éducation et l’enseignement authentique des valeurs de la religion chez nos jeunes. La formation des imams et des éducateurs est une partie de la solution. Néanmoins, si des lois ne sont pas votées pour mettre fin à l’anarchie dans le domaine d’Internet et interdire la diffusion de tout contenu sectaire, alors tout effort dans nos mosquées ou nos centres sera insuffisant voir vain.

Les idéologies de la haine et de l’exclusion prolifèrent dans nos banlieues. Il faut – de la part de l’Etat – une vraie politique culturelle dans ces zones, des moyens supplémentaires pour les associations, un combat sérieux contre la discrimination notamment à l’embauche, la fin des ghettos. L’Islam (deuxième religion de notre pays) souffre non seulement du manque d’enseignement authentique et du manque d’organe officiel audible, crédible et reconnu, mais aussi d’amalgames médiatiques et politiquent qui s’acharnent sur lui et mettent en cause la stabilité et la paix sociale.

Par Tarik Abou Nour, chargé des relations publiques pour les traditions musulmanes dans le groupe de dialogue interreligieux « Artisans de paix », porte-parole du Chari’a Board CIFIE : Comité  Indépendant de Finance Islamique en Europe ; intervenant au séminaire de recherche du Collège des Bernardins.

En savoir plus sur http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-145744-islam-le-difficile-combat-contre-lintegrisme-1184502.php?JHLyZoUvPqr2KUig.99

* A ce sujet, voir utilement :

« Le Pacte de Najd ou Comment l’Islam Sectaire est devenu l’Islam », HAMMADI REDISSI, SEUIL, 2007.

« As-salafiyya : marhalatun zamaniyyatun mubârakatun lâ madhhabun islâmî » : le salafisme est une période bénie (qui fait allusion aux ancêtres pieux) et non pas une doctrine de l’Islam : une bonne étude sur l’histoire du salafisme wahabbite moderne et son idéologie : auteur : le Shaykh syrien martyr feu Muhammad Saïd Ramadâne Al-bûti :(en arabe et en français).

« Târîkhu Najd », Amîn Ar-rayhânî ,3éme édition : dâr arrayhânî : Beyrouth, 1964

« ath-thawra al-‘arabiyya Al-kubrâ », Mustafa Talâs ,4éme édition, dâr talâs, Damas, 1986

« A-ddawlatu al-‘uthmâniyya dawlatun Muftarâ ‘alayhâ », Abdel ‘Azîz a-shenâwî,première édition, maktabatu Al-anjilou al-misriyya, tome II : Le Caire 1984.

Principaux ouvrages et publications de l’auteur :

  • – « Ibn ‘Ashir : L’essentiel de la religion musulmane, Tawhîd, Fiqh et spiritualité 2ème édition augmentée. »Ed Iqra,Paris, 2010.
  • « L’essentiel sur le dernier Messager (paix et salut sur lui) ». Ed. Iqra, 2ème édition augmentée, Paris, 2013.
  • – « Comprendre la Finance Islamique : Principes, Pratiques et Ethique » éditions Les 4 Sources, Paris, année 2009.
  • – « Le guide du musulman, la voie du croyant selon le Coran et la Sunna (questions/réponses) », éditions Les 4 Sources, Paris, année 2011.
  • – Contribution à l’ouvrage « Finance Islamique : Les Normes de conformité de L’AAOIFI, volume 1 », Paris Europlace, Editions ESKA , janvier 2013, dans le cadre de la commission «Finance islamique » de Paris Europlace.
  • – Contribution à l’ouvrage : « L’assurance Takaful», éd. l’Argus de l’assurance, Paris, septembre 2015.
  • – « Contribuer au bien vivre ensemble », mai 2012 chez l’Harmattan/Paris (compilation d’articles de conférences interreligieuses: sujet : l’apport de l’islam à la civilisation: l’exemple du comportement et de la spiritualité des valeurs qui transcendent le temps et l’espace)
  • – « Convergence entre les valeurs de la république française et les valeurs des religions, réflexion autour de 20 valeurs dans une démocratie laïque » contribution au nom de l’islam, pour le compte de la LICRA – NLD, 2013.
  • – « Finance islamique, un alternatif solide et durable» article publié dans la revue « Ethique et Economie » de la fraternité d’Abraham, hors-série, Paris, mars 2012.
  • – « Eléments de réponses pour moraliser l’économie » article publié dans l’ouvrage : « Rapport moral sur l’argent dans le Monde 2013 », éditions, association d’économie financière.
  • – Article sur les SUKUK « LE PREMIER SAK FRANÇAIS », paru dans les cahiers de la finance islamique de EM de Strasbourg

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