Lettre 48 - 26/1/2010


Au lendemain de notre second rassemblement interreligieux de prières pour la paix – Creuset des Fraternités Artisans de Paix



Demeure aujourd’hui, la qualité du silence qui a clôturé notre rencontre… Sans doute était-elle contenue en germe dans le commencement. Au cours de la soirée, nous avons vu le germe prendre corps jusqu’à ce qu’il s’exprime dans la voix du silence final. Notons qu’il y avait dans la synagogue, un fauteuil somptueux sur lequel personne n’était assis puisqu’il était réservé à Elie que la tradition juive, bénie soit-elle, attend chaque fois qu’elle se rassemble. Hier soir, je crois bien qu’Elie était au rendez-vous. Plusieurs d’entre nous l’auront perçu.

Au commencement, en ce soir du 25 janvier 2010, j’évoquai et invoquai le Souffle qui nous convoque en tant qu’artisans de paix, par la voix du Buisson Ardent qui appela Moïse pour libérer son peuple de l’esclavage (Ex 3, 3-10) avant qu’il ne reçoive la Loi donnant forme à l’alliance de Dieu avec le peuple juif au Sinaï, au moment où il allait entrer dans la terre promise (Ex 20, 1-17). Il nous convoque aussi en la voix du silence fin qu’entendit Elie (1 Rois 19, 11-14) et qui initie les mystiques en Islam. Il nous convoque encore avec la voix de Paul, apôtre des nations, dont nous avons à retrouver la part féminine pour qu’il apparaisse non plus comme un diviseur mais comme un bâtisseur d’Unité. C’est alors que le rabbin Gabriel Farhi nous dit : « Lorsque des bâtisseurs de paix sont rassemblés, Dieu est parmi eux. Aujourd’hui, il est parmi nous. Soyez attentifs : il y aura des signes dans notre assemblée ».  Et il continua : « Ainsi, ne croyez pas que tous les rabbins s’appellent Gabriel ! Ce soir, il y en a deux. Ce n’est sans doute pas un hasard ».  Plus tard je devais remarquer qu’au cours de la soirée,  les chants hébraïques étaient portés par des voix d’hommes et les chants chrétiens par des voix féminines, sans que cela ne soit voulu. Ceci rejoint une intuition de la part féminine de Paul, occultée pendant des siècles, pour laquelle le rapport Juifs / disciples de Jésus-Christ est aussi structurant pour l’humanité que le rapport Homme / Femme.

Le père Higoumène Barsanuphe nous a rappelé que notre rassemblement se situait dans la tradition  qu’inaugura le pape Jean-Paul II en 1986. Je précise qu’il l’inaugura le 25 janvier 1986, à l’issue de la semaine de prière des Chrétiens pour l’Unité, le jour de la fête de la Conversion de saint Paul, lorsqu’il exprima son désir de rassembler l’ensemble des religions à Assise afin de prier pour la paix. C’est exactement le même jour que le pape Jean XXIII, en 1959, c’est-à-dire vingt sept ans avant, avait annoncé à Saint-Paul-hors-les-Murs son intention de rassembler un Concile œcuménique. Jean XXIII nous dit : « Une inspiration a visité mon cœur et j’ai reconnu qu’elle venait de Dieu ». Et encore : « Chaque fois que l’Eglise est invitée à scruter son mystère, elle ne peut pas le faire sans rencontrer les Juifs ». Dans une œuvre majeure du Concile qui est la réforme de la liturgie catholique avec le passage aux langues vulgaires, ont été supprimées les allusions à « gens deicida » (nation déicide) et  « populus maledictus » (peuple maudit) concernant les Juifs. Elles risquaient de laisser croire que l’antisémitisme était lié à la foi chrétienne alors que toute une tradition se souvenait de la parole de Jésus à la Samaritaine : « Le salut vient des Juifs » (Jean 4,22). Et voici que ce que personne n’avait pensé ni voulu, du côté des hommes et de leur désir, prend figure dans le Concile : l’Eglise découvre qu’elle ne peut échanger en profondeur avec les Juifs qu’à la faveur d’une médiation qui est celle de toutes les religions.

Avec le développement des technologies, le tissu de la terre s’est resserré et les conflits meurtriers entre les religions augmentent. L’Unité à venir entre les religions devient une nécessité de survie. Madeleine Frapier eut une inspiration concernant les monothéismes, lorsqu’elle fonda l’Association « Artisans de Paix » en 1994 avec le Projet de « créer un lieu permanent rassemblant Juifs, Chrétiens, Musulmans et Scientifiques au Sinaï, afin de prier pour la paix ». Il se trouve que nous nous sommes rencontrées en plein ciel (en avion) le 15 octobre 1994, jour de la fête de sainte Thérèse d’Avila qui fut chantée ce soir du 25 janvier 2010, par Marthe Emon. Madeleine Frapier rendit le Souffle la nuit du 25 au 26 janvier 2002, vingt ans après l’événement de Souffle de la nuit du 25 au 26 janvier 1982 qui réorienta toute ma vie dans le sens de l’engagement qui est le mien depuis et qui se manifeste aujourd’hui parmi nous. Ces coïncidences ne sont sans doute pas le fait du hasard, comme le dit le rabbin Gabriel Farhi. Elles sont les signes d’une voie « Artisans de Paix » s’inscrivant dans la tradition de la part féminine de Paul, à mettre en rapport avec le désir réorienté de l’Eglise vers l’Unité tel qu’il s’est exprimé à Vatican II, et avec le rassemblement d’Assise qui lui a succédé.  La fraternité est un chemin parsemé d’embûches. Comment être frères si nous ne sommes pas issus d’un même père ? Seule la connaissance du Père de tous les hommes peut faire de nous des frères en humanité. Le chemin de cette connaissance est celui de l’écoute du silence au fond de nous-mêmes, qui est le silence du Père. Ce silence peut parler à tous, y compris aux membres des religions non monothéistes. C’est pourquoi l’important pour entrer dans la voie des « artisans de paix », c’est le mouvement de la prière à l’écoute de  la voix du silence fin, à condition que soit respecté le génie de chacune des prières. Rendons hommage à l’inspiration de la tarîqa Qadiriya Boutchichiya qui, par le chant, nous introduit  dans cette voie, nous faisant contempler que la Fraternité Islamique des Artisans de Paix est au commencement des Fraternités Artisans de Paix : l’attitude de « remise confiante à Dieu dans la paix» que signifie « Islam » par delà l’appartenance à une religion particulière est au commencement de notre expérience spirituelle à tous.

Dans les monothéismes, la qualité du silence fin vient avec Elie. Elle surgit dans la prière dès que nous accueillons la présence de Celui dont nous reconnaissons qu’il est la Paix. Dans le Coran, « Dieu lui-même est la Paix » Coran LIX, 23. Dans la bible hébraïque dont nous héritons ensemble, l’accent est mis sur la paix entre les peuples ; ce qui nous donne à entendre le sens de la Fraternité Hébraïque des Artisans de Paix à venir dans  notre  histoire : «Des peuples nombreux se mettront en marche et diront : « Venez, montons à la montagne du Seigneur, à la Maison du Dieu de Jacob. Il nous montrera ses chemins et nous marcherons sur ses routes » Esaïe 2,3 ; «  De leurs épées ils feront des charrues, de leurs lances des faucilles. On ne brandira plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à se battre » Esaïe 2, 4 ; «Un enfant nous est né, un fils nous est donné. La souveraineté est sur ses épaules. On proclame son nom : merveilleux Conseiller, Dieu Fort, Père à jamais, Prince de la paix. Il y aura une souveraineté étendue et une paix sans fin pour le trône de David et pour sa royauté qu’il établira et affermira sur le droit et la justice» Esaïe 9,5.  Si le Prince de la Paix était parmi nous en cette soirée du 25 janvier 2010, la prophétie d’Esaïe nous dit qu’il est fragile comme un enfant. Dans nos temps troublés, nous pourrions ajouter, précieux comme un nourrisson. Ce lieu de naissance de Dieu en l’homme et de l’homme en Dieu nous fait goûter ce qu’est la Fraternité Eucharistique des Artisans de Paix, indépendamment de l’appartenance à une religion particulière. Il requiert  toute l’attention des uns et des autres, présents ou absents ce soir là, reliés à l’événement par la prière ou la pensée, prêtant une particulière attention ensemble, aux signes qui nous ont été donnés ce soir-là comme à leur cheminement dans l’avenir.

Les dernières prières exprimées furent des prières bouddhistes. C’est après elles que  l’assemblée tout entière entra dans une qualité de silence telle, que nous avons pu la sentir unanimement. C’est une expérience de l’Unité qui nous transfigure en nous reliant les uns aux autres, que nous a fait sentir la Fraternité Bouddhique des Artisans de Paix. Toucher de l’Esprit ! Après la soirée, j’ai trouvé ce mail d’Hervé Elie Bokobza, me disant: « Je ne pouvais m’endormir ma chère Paula, sans t’envoyer une pensée à partir d’une citation d’une de mes plus grandes références en matière de Judaïsme, Josef Dov Soloveichik (1905-1993) auteur entre autres du Croyant Solitaire et de l’Homme de la Halakha. Cette citation résume à mon avis ce que tu as ressenti ce soir à la fin des prières: « Il est une autre révélation plus discrète qui ne bouscule pas l’ordre de la nature. Elle ne vient ni dans un gros nuage ni dans un tourbillon de feu, accompagnée de coup de tonnerre et en présence de tout le peuple. Elle vient sur le fond d’un fin filet de silence, de l’intérieur intime de l’âme. Car chacun est prédisposé à connaître la grande expérience de la douce et réelle présence du Maître du monde, de sa proximité, son contact. Expérience d’une rencontre silencieuse, sereine et délicate avec le Créateur ».

Paula Kasparian


Recherche par mot-clé

artistes de Dieu; Connaissance connaissances révélées connaissances scientifiques Corps Elie Fraternité Toraïque des Artisans de Paix; Fraternité Eucharistique des Artisans de Paix; Fraternité Islamique des Artisans de Paix; Jérusalem; Al Qaouzah (Sud Liban); Istanbul; Institut itinérant des Artisans de Paix; sanctification; voie; artisans de paix Moïse paradigme des Artisans de Paix Prophétie Sagesse sciences Sinaï Souffle Toucher de l'Esprit Transfiguration épistémologie des Artisans de Paix

Recherche par thème


Recherche par lieu


Recherche par date

Login

Lost your password?