Lettre 49 - 13/5/2010


L’envol des artisans de paix ouverts à l’inédit



Clôturer notre cycle « La Table des Artisans de Paix » pour nous ouvrir à l’avenir qu’il contient en germe… Ouvrir pour ressaisir avec plus de profondeur, de largeur et de hauteur, la semence qui éclot… Suspendre le cours cyclique du temps pour demeurer dans l’inédit : ce qui se dit dans l’intime et que notre bouche n’a pas encore prononcé. Notre désir ultime est comme l’amour,  rythmé par la vie du souffle et s’exprimant dans la germination. Il interroge toutes les sagesses et toutes les religions. Ainsi dans la sagesse grecque, les ailes d’Icare fondent lorsqu’elles approchent du soleil et Icare tombe… Telle est l’histoire du désir lorsqu’il se donne un objet qui n’est pas celui d’être. S’ouvrir à l’être, c’est quitter le monde pour s’enraciner au plus profond de la terre et réaliser le rêve d’Icare en laissant la semence monter jusqu’aux cieux… C’est l’envol des artisans de paix que nous expérimentons aujourd’hui, tandis que nous clôturons notre cycle « La Table des Artisans de Paix ».

C’est à l’unique désir d’être que nous conduit cette « Table », avec l’extinction de la convoitise, de la haine et de l’ignorance que cherche le Bouddhisme dont Vincent Pilley fut témoin le 12 mai. Il s’exprime par l’image de l’océan que l’on rencontre aussi dans l’Islam. L’océan dit d’une manière imagée la force respiratoire qui soulève le cœur de l’homme et le reprend, à la façon d’une vague. Avancer sur la crête de la vague est la fine pointe du Tao qui recueille les trois qualités du Souffle primordial. Incarner cette fine pointe dans la distinction des personnes, est la vocation chrétienne : l’ « inhabitation » dit cette vocation où, chacun est dans soi en étant hors de soi (expérience très concrète de la vie trinitaire qui se donne littéralement à « goûter » dans la vie eucharistique); « soleil rayonnant » qui ne se couche jamais, lumière qui ne se cache pas, lumière de la Sainteté qui éclaire non seulement tous les hommes en deçà et au-delà des frontières qu’ils ne cessent de construire,  mais encore le cosmos tout entier. L’incarner dans une alliance entre les peuples, est la vocation hébraïque : cette vocation est la plus difficile de toutes parce qu’elle suppose une coopération entre les peuples en tant que tels. Larbi Kechat, recteur de la Mosquée Adda’wa, nous a rappelé le 12 mai  que nous sommes très loin de cette réalisation puisque nous sommes complices des injustices que nous ne dénonçons pas. Le père Higoumène Barsanuphe nous l’a exprimé à sa façon en nous disant que dans l’orthodoxie, le croyant ne s’approche de la table de communion qu’après avoir reçu le sacrement de pénitence qui exprime son retournement vers Dieu, toujours à vivre. Si nous n’arrêtons pas la vie du désir rythmée par celle du souffle, elle nous conduit de nouveauté en nouveauté où toujours demeure la Révélation une et plurielle, à l’expérience du Corps livré évoquée par le père Olivier Teilhard de Chardin, où chacun donne sa vie pour un monde nouveau. Car la vocation des artisans de paix est l’unité des enfants de Dieu dispersés comme nous l’a rappelé Dan Arbib; leur désir  est l’ardeur avec laquelle  tous se rassemblent en un, distinctement, avec la figure du serviteur évoquée par la pasteure Florence Blondon ; corps livrés pour un monde nouveau, sans accaparement aucun, ce dont nos fraternités Artisans de Paix sont une image bien imparfaite certes, mais une image tout de même. Saint Jean de la Croix parle de la vive flamme d’amour. Nous serons jugés sur ce désir.

C’est bien l’unique désir d’être, et de surcroît d’être des artisans de paix, qui nous rassemble avec ardeur dans la diversité de nos rencontres. Nos réunions de prières sont le creuset de la spiritualité que nous expérimentons ensemble comme une transfiguration : elles sont le cœur vivant de l’assemblée des artisans de paix qui prend corps parmi nous, son cœur sacré. Ce que nous expérimentons dans la vie du souffle qui rythme celle du cœur consacré à l’unité, nous sommes appelés à l’enraciner dans nos textes fondateurs à l’écoute de la voix du silence fin comme Elie afin que l’expérience demeure. Enfin, pour que grandisse le corps vivant des artisans de paix, nous sommes invités comme l’est la descendance de Moïse  à ne pas garder pour nous seulement ce qui nous réjouit, en élaborant une culture Artisans de Paix qui puisse profiter à la société civile dans son ensemble. C’est pourquoi nous nous orientons vers la création d’un Institut de recherche et de formation Artisans de Paix, interdisciplinaire, interreligieux et international comme le sont nos conférences (avec la diversité de l’origine de nos conférenciers qui souvent ont une double nationalité). Il mettra en œuvre « La Table des Artisans de Paix » dressée au cours de notre dernier cycle, cherchant dans la façon dont les choses se clôturent, un enseignement pour leur avenir.

Je vous encourage vivement à venir le 8 juin à notre dernière conférence du cycle sur « La fraternité hébraïque des artisans de paix » avec Hervé élie Bokobza, Marc Rastoin sj et Mohamed Mestiri.  La conférence du 12 mai sur « La fraternité eucharistique des artisans de paix » a été un grand moment pour nous. Je remercie les six conférenciers qui ont nourri la question, chacun à sa façon. A la table, nous étions sept, nombre hautement symbolique de la diversité de nos traditions et de leur unité sapientielle. Je remercie en particulier les non chrétiens qui ont accepté de s’exprimer sur une question spécifiquement chrétienne. De notre expérience, je tire quelques conclusions méthodologiques :

> Dire que chaque tradition est responsable du message qui lui est propre sans accaparement aucun, manifeste le paradoxe du corps livré :

Tout message suppose un corps individuel et social pour le porter de façon responsable : nous ne pouvons pas faire l’économie de la diversité de nos traditions religieuses qui sont chacune une instance symbolique particulière de la langue signifiant l’ultime.

Le message court toujours le risque d’être accaparé par le corps individuel et social qui le véhicule d’une manière qui lui est propre : ce n’est que dans l’abandon du corps livré qu’il échappe à ce risque.

> Dans ce paradigme, chacun de nous est invité à se laisser travailler par l’ensemble du patrimoine de l’humanité, sans confusion aucune de ses particularités,  et ceci est d’utilité publique. C’est ce qu’a fait d’une façon très touchante, Vincent Pilley, bouddhiste qui a lu les Evangiles pour préparer son intervention du 12 mai. Ce qui me fait constater trois choses :

Attention à ne pas entrer dans une résonnance trop immédiate entre deux traditions bien distinctes : nous progresserons en plongeant d’autant mieux dans la tradition de l’autre que nous aurons fait silence par rapport à nos propres signifiants, le temps d’un passage à vide du souffle, avec le risque de mourir à nous-mêmes : c’est le  mouvement de la connaissance vers, avec ignorance du terme.

Ce risque est la chance qui nous est donnée de demeurer à la racine du souffle, sans accaparement aucun, au lieu de la connaissance où en mourant à moi-même, je nais de la relation à un autre : non seulement je vais vers mais je nais avec l’Assemblée des artisans de paix, geste fondateur où Dieu naît en l’homme et l’homme en Dieu, sans bruit de mot comme l’homme en la femme et la femme en l’homme, au moment de l’amour quand il est sans retour.

Alors et alors seulement, le geste de Dieu, qui précède et fait don de lui-même dans l’intimité de la chair, peut être « re-connu » par l’homme dans une réponse qui est la remise confiante à Dieu dans la paix, en deçà de toute croyance parce que l’irruption de Dieu dans la vie d’un homme est toujours incroyable !

> Ce paradigme que nous pouvons expérimenter chacun, comme une condition de croissance du corps vivant des artisans de paix (leur Assemblée), je l’ai expérimenté dans le groupe Tradition Biblique inauguré par Paul Beauchamp où s’est enracinée l’amitié avec Marie Balmary et Marthe Emon intervenue le 9 mars sur le Don de la Loi. Ce n’est sans doute pas un hasard, car la Bible, faite de l’un et l’autre Testament, est une bibliothèque composée de livres disparates dont l’unité ne peut être attestée que par la vie du souffle, dans l’expérience du corps livré, avec la convocation au témoignage de l’univers entier. Sa lecture ne s’accomplit qu’avec celle de la diversité des livres fondateurs de l’humanité. Le rapport entre l’un et l’autre Testament est paradigme de cet accomplissement pour Paul Beauchamp certes, mais aussi pour st Paul et pour les artisans de paix.

Vaste programme dont nos sociétés ont besoin de toute urgence ! A nos marques, partons.

Notre union sera notre force, pourvu que nous demeurions attentifs au travail de la parole qui toujours nous différencie.

Paula Kasparian


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