Lettre 58 - 1/11/2013


De « Jérusalem 2012 » aux « Projet Comores », Tisser une toile d’Artisans de Paix autour de la terre…



“L’avenir de la Terre n’est pas à chercher dans la contemplation d’une même vérité, ni d’un même idéal, ni dans l’assouvissement d’un désir suscité par quelque envie ou besoin matériel, mais dans l’attrait exercé par les personnes entre elles. Il s’agit de la rencontre de centre à centre, de cœur à cœur, des unités humaines, vers un esprit nouveau, un esprit d’amour.” (Pierre Teilhard de Chardin, dans l’Avenir de l’Homme).
 
 
« Jérusalem 2012 » : une bénédiction
 
Le premier pèlerinage interreligieux Artisans de Paix fut du 11 au 18 novembre 2012 à Jérusalem. Le 5 novembre 2012, une semaine avant notre départ, le rabbin Philippe Haddad nous a écrit : « Votre projet est en lui-même bénédiction, artistes de Dieu et artisans de paix ».
 
Nous sommes venus à Jérusalem très humblement, car ici plus qu’ailleurs, les hommes sont témoins des difficultés à vivre en paix. Durant notre séjour, les roquettes ont fusé au dessus de nos têtes ; nous avons entendu de nos propres oreilles l’inquiétude du peuple israélien ; nous avons vu de nos propres yeux la souffrance dans les yeux du peuple palestinien ; nous avons croisé des femmes de tous bords défilant dans la rue pour la paix.
 
Et cependant, touchés par la « Shekhina » qui émane de « Jérusalem», nous sommes venus à Jérusalem pour y chercher la paix et nous n’avons pas été déçus. Sous les roquettes, Juifs, chrétiens et Musulmans, Artisans de Paix, nous avons goûté la Parole d’Isaïe (II,5) : « Venez, famille de Jacob, marchons à la lumière du Seigneur ».
 
A Jérusalem plus qu’ailleurs, dans cette ville trois fois sainte, nous avons ressenti que Juifs, Chrétiens et Musulmans, sont d’autant plus justes qu’ils remontent chacun au cœur de sa tradition et font chœur avec celles des autres. Nous sommes repartis avec cette certitude intérieure, que la paix viendra de Jérusalem pour le monde entier ou ne sera pas.
 
S’engager dans une voie de sanctification en s’appuyant les uns sur les autres, avec la diversité des cultures, des nations et des traditions religieuses représentées dans la ville de Jérusalem, les fédérer dans une rencontre de centre à centre, de cœur à cœur, est condition de survie de la ville de Jérusalem.
 
C’est le seul chemin viable de la paix pour le monde entier. C’est pourquoi cet engagement est la voie de réalisation de l’appel de Jérusalem à être lumière des nations et mère des peuples. C’est la vocation des modestes « Artisans de Paix » que nous sommes. C’est pourquoi nous disons que Jérusalem est la ville de notre naissance spirituelle : « De Sion il est dit : Tous y sont nés, et c’est lui, le Très-Haut, qui l’affermit » Psaume 87, v5.
 
Le défi de l’avenir de Jérusalem : Instituer un Peuple de peuples « Artisans de Paix », nous ouvre à notre propre mission : Tisser une toile d’Artisans de Paix autour de la terre
 
André Chouraqui l’avait compris lorsqu’il créa en 1967 (pendant la Guerre des 6 jours) à la Mosquée de Paris avec le Recteur de la Mosquée, Si Hamza Boubakeur, le RP Michel Riquet et J. Nantet, la « Fraternité d’Abraham », unissant les trois monothéismes. Ce qui inaugurait le dialogue inter-religieux.
 
Née en 1994, l’association « Artisans de Paix » s’inscrit dans cette perspective, avec certains apports qui font son originalité : une ouverture sur les religions non monothéistes et un engagement dans la recherche inter- et transdisciplinaire, telle que l’inaugura Jean Piaget dans la seconde moitié du XXème siècle, d’une part ; un abord des religions du point de vue de l’expérience inter-spirituelle (l’Intériorité dont attestent les mystiques de toutes les traditions), sans syncrétisme ni confusion (expérience inter- en même temps qu’intra-religieuse), d’autre part. Ces apports sont le fruit d’une obéissance à la vie du Souffle qui caractérise les Artisans de Paix, les imprègne de sa marque et inaugure avec eux un nouveau chemin. De telle sorte que l’on peut parler de la Voie des Artisans de Paix comme d’une Voie de sanctification dans laquelle chacun s’enracine d’autant mieux dans sa propre tradition, qu’il devient capable d’accueillir les autres dans le cœur de Dieu qui l’inhabite. Cette inhabitation de Dieu qui fait l’ « Unité plurielle » des Artisans de Paix, me paraît être le défi que la ville de Jérusalem nous invite à réaliser.
 
André Chouraqui avait une claire conscience du défi de l’avenir de Jérusalem lorsqu’il écrit : « … Le défi consiste ici à bâtir Jérusalem sans la mutiler en lui donnant ou en lui conservant son triple caractère de capitale d’Israël, de haut lieu spirituel d’importance universelle pour les juifs, les chrétiens et les musulmans, et dans un proche avenir, espérons-le, de capitale confédérale ou fédérale d’une entité en voie d’émergence qui groupera les peuples associés d’Israël, de Palestine et de Jordanie. Aux cotés de Rome, de Bénarès, de Kyoto, de Constantinople, de La Mecque, la nouvelle Jérusalem servira de ville-étape entre l’Orient et l’Occident, comme entre le Nord et le Sud. Ses structures urbaines, sa topographie, son sol, ses antiques remparts, ses sites historiques ou leurs vestiges, malgré toutes les tragédies de son histoire, à cause d’elles aussi, font de Jérusalem, une des sources jaillissantes de l’unité planétaire, en voie d’émergence, elle peut en être la matrice… » (Extraits de « Jérusalem – Une ville sanctuaire ». Ed du Rocher).
 
Comment en étant soi-même, Jérusalem peut-elle être une source jaillissante de l’unité planétaire ? Est-il possible d’être soi-même sans s’appartenir ? De questionner l’origine et la finalité des peuples de la terre, de vivre à la frontière de soi-même et d’autrui, tout en occupant la place unique qui est la sienne?
 
Questionner l’origine et la finalité des peuples de la terre, vivre à la frontière de soi-même et d’autrui, occuper la place unique qui est la sienne, sont les trois règles élémentaires du chemin des « Artisans de Paix » que nous espérons être. Nous n’accomplissons notre mission qu’en recevant la paix les uns des autres et en nous donnant la paix les uns aux autres. « Trouve la paix en toi-même, et la terre aussi bien que le ciel te combleront de paix ». (Ben Sirac le Sage 36, 12)
 
La vocation des « Artisans de Paix » coïncide de fait avec celle de Jérusalem. Selon l’article II des statuts : « L’Association «ARTISANS DE PAIX» a pour objet de créer et d’instaurer un centre permanent sur un haut-lieu de la Planète (en l’occurrence, dans le désert du Sinaï) qui réunira – dans le respect scrupuleux de la doctrine et des rites propres à chacune des trois religions monothéistes, c’est-à-dire sans SYNCRÉTISME ni CONFORMISME – des hommes et des femmes de bonne volonté et de décision appartenant aux domaines : scientifique, éthique, spirituel, leur permettant des séjours de rencontre, de spiritualité, d’interéchanges, afin de préparer de façon suivie la paix mondiale».
 
Ce qui a pris corps pour l’instant, ce n’est pas un « centre permanent » mais un « peuple de peuples itinérant » qui, au fil de ses rencontres, se fédère en s’enracinant dans la Mémoire du Sinaï avec la diversité de ses traditions religieuses mais aussi de ses traditions de pensée. Dans cette Mémoire, nous nous laissons rencontrer par les récits bibliques et coraniques concernant Moïse et Elie, ainsi que par les récits évangéliques de la Transfiguration qui ont lieu sur le mont Thabor mais où Jésus apparaît à trois de ses disciples, entouré de Moïse et d’Elie, ce qui évoque le Sinaï.
 
Le changement de paradigme du rapport entre religions réside en ce que celles-ci se parlent à pieds d’égalité : les religions exorcisent leur risque d’instrumentalisation politique par le dialogue entre elles, sans privilégier l’une d’elles, c’est-à-dire sans s’inclure (comme c’est le cas dans les théologies de la substitution) ni s’exclure (comme c’est le cas dans une certaine culture du mépris). Dans le dialogue, chacune entretient l’autre en lui donnant à penser, tandis qu’elle puise sa sève en ses propres racines reconnues comme promesse d’accomplissement dans un horizon d’entente et de respect mutuel. La quête de l’intériorité vraie nous ouvre de fait sur une extériorité vraie, comme ce fut le cas pour sainte Thérèse d’Avila qui, en son temps, s’engagea activement dans la réforme des monastères carmélitains. Cette quête nous ouvre de fait sur la réalité des Fraternités Artisans de Paix à naître, ici et là.
 
 
Le Challenge du  « Projet Comores» : Instaurer un dialogue interreligieux, interdisciplinaire et international pour la paix, dans un pays musulman
 
Entrer dans la « Cité de Paix », c’est entrer progressivement mais réellement dans la Présence vraie de Dieu comme disent nos amis calvinistes, plus intérieure à nous-mêmes que nous-mêmes, plus extérieure que toute extériorité. Ce lieu réalise les Fraternités Artisans de Paix où nul n’est propriétaire du message qu’il véhicule. Les Châteaux forts que nous sommes, chacun de nous et chacune de nos traditions, s’ouvrent. Et ensemble, nous sommes appelés à former la « Cité de Paix » que signifie le nom de « Jérusalem ».
 
C’est dans cet espace de « reconnaissance » de l’autre avec la prise au sérieux des « pierres d’achoppement » de nos traditions, qu’émergent parmi nous depuis 2009 des « Fraternités Artisans de Paix » : une Toraïque, une Eucharistique, une Islamique, une Bouddhique. Chaque tradition véhicule un message essentiel dont elle n’est pas propriétaire, ainsi en est-il du sens spirituel de l’Islam qui signifie la remise confiante à Dieu dans la paix. Toute expérience spirituelle ne passe-t-elle pas par là ? Mais il en est ainsi aussi de l’Eucharistie avec laquelle la Parole de Dieu prend corps. Dans nos rencontres interreligieuses de prières, chacun de nous ne devient-il pas parole nourrissante pour autrui ? Quant à l’institution d’un peuple de peuples témoin, elle s’inscrit directement dans la vocation Toraïque du peuple hébreu de recevoir la Loi du Sinaï pour l’humanité tout entière. La voie spirituelle des Artisans de Paix vise l’émergence d’un peuple en marche transcendant ses frontières sans les abolir : un peuple de peuples (vocation toraïque), corps du Christ en train de venir au monde (vocation eucharistique), s’en remettant à Dieu dans la paix (vocation islamique), transfigurant la matière du monde (vocation bouddhique).
 
Ces Fraternités sont le signe visible de l’unité des enfants de Dieu dispersés, où chaque tradition est responsable d’un message essentiel dont elle n’est pas propriétaire, puisqu’il est pour l’humanité tout entière. En elles, se conjuguent toujours le singulier, le particulier et l’universel que les artisans de paix sont appelés à manifester conjointement et concrètement. Plus nous nous engageons dans « la voie des artisans de paix », plus chacun va vers soi-même : le juif, le chrétien mais encore plus distinctement, le catholique, le protestant, l’orthodoxe, et aussi le musulman, le bouddhiste, l’hindouiste et d’autres encore. Chacun est d’autant plus ouvert vers les autres, qu’il est mieux différencié et enraciné dans sa propre tradition ; et réciproquement. De telle sorte que nous pouvons dire que le signe de l’unité des enfants de Dieu, c’est leur diversité.
 
Dans cette expérience d’amour de la sagesse qui n’est pas seulement religieuse, nous devenons bénédiction les uns pour les autres, don et gratitude pour ce que nous donnons et recevons, joie de la rencontre  inédite, découverte surprenante et enrichissante d’un univers tout autre. Emergent de cette joie, le respect de l’autre, de l’hôte et des lieux ; l’esprit d’ouverture et de communion ; l’attention et l’écoute ; la présence au présent ; le sens et la beauté de nos signes, gestes et rites qui peuvent transformer notre vie en une liturgie.
 
« En marche les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu » nous disent les Evangiles traduits par Chouraqui, sans spécifier l’appartenance religieuse de ces artisans de paix : « seront appelés fils de Dieu » des femmes et des hommes de bonne volonté, qu’ils soient juifs, chrétiens, musulmans, bouddhistes ou agnostiques, pourvu qu’ils soient en marche vers la paix. Ce qui fait de nous l’Assemblée des Artisans de Paix, c’est le fait que nous croyons que cette marche est une transformation de soi-même en même temps que du  monde, du rapport à l’ultime et aux autres. Cette marche est le cœur vivant de Jérusalem que nous sommes appelés à réaliser en Arménie en 2014 et aux Comores en 2015.
 
Tel est le Souffle qui nous pousse aux Comores. Quand se réalisera ce voyage ? Quand un groupe porteur sera prêt. Quel sera le fruit de notre voyage ? Nous l’ignorons mais nous y allons confiants, certains que le don de la Providence prend toujours une forme inattendue où la réalité dépasse la fiction.
 
Bonne route à tous !
 
Paula Kasparian
Présidente des Artisans de Paix


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