Lettre 64 - 19/11/2015

ARTISANS DE PAIX A ISTANBUL

Pour répondre à notre vocation – Comme nous le disons entre nous, Artisans de Paix s’engage dans une voie de croissance en humanité, une voie de sanctification selon certaines croyances. Pour ce faire, les artisans de paix s’appuient les uns sur les autres, avec la diversité des traditions religieuses représentées parmi eux, sans confusion ni syncrétisme. C’est ce qui les spécifie. Cet engagement s’est trouvé en résonance avec le questionnement de deux jeunes philosophes turcs : Albert Nahum qui nous a introduits avec bonheur auprès du rabbin Rav Neftali Haleva, lors de notre visite à la synagogue d’Orkatöy, et Sélami Varlick qui est venu nous parler de ses travaux « Pour une éthique du désaccord » ou comment s’entendre dans la diversité, en s’aidant les uns les autres, à aller vers soi-même. Paul Ricœur ne parle-t-il pas de « soi-même comme un autre » ? L’éthique en question pourrait devenir un parcours d’introduction au savoir faire des Artisans de Paix à Istanbul.

Pour entendre notre appel – Le Chemin spirituel d’Artisans de Paix s’enracine, de fait, dans l’appel du premier rassemblement interreligieux, interdisciplinaire et international d’Assise, lancé le 25 janvier 1986, par saint Jean-Paul II. Lequel s’inscrit lui-même, dans la suite de l’approfondissement de la Tradition vivante de l’Eglise catholique, lors du concile Vatican II, convoqué le 25 janvier 1959, par saint Jean XXII, qui a été vicaire apostolique à Istanbul. Nous avons rencontré un écho profond de cet Appel chez frère Gwenolé Jeusset et Sheikh Nail Kesova qui réalisent tous les 27 octobre une réunion interreligieuse de prières pour la paix, à l’Eglise Saint Louis des Français d’Istanbul. Frère Gwenolé qui prend sa retraite cette année, nous a dit « Il était temps que vous veniez !» Nous avons goûté chaque mot de son homélie de la Toussaint, dans laquelle nous nous sommes reconnus intégralement. Françoise Mirabile nous a été recommandée par lui. Elle a accepté de devenir correspondante en titre de l’association civile française Artisans de Paix à Istanbul.

Pour participer à notre projet – Le Projet de l’association Artisans de Paix, dès sa fondation, est de perpétuer l’inspiration de ce premier rassemblement d’Assise, en lui donnant un lieu permanent, le désert du Sinaï. Dès 1994, Paula Kasparian formule l’hypothèse qu’en s’engageant dans ce que signifie le Sinaï dans la diversité des traditions de l’humanité, celles-ci pourraient trouver matière pour coopérer à la paix dans la justice. En 2015 le Projet initial d’un lieu permanent au Sinaï va devenir statutairement lors de la prochaine AGE, celui de la réalisation d’un mouvement en marche dans le Souffle du Sinaï : l’Institut spirituel itinérant Artisans de Paix. Cet Institut itinérant est appelé à réunir, sans syncrétisme ni conformisme, des femmes et des hommes de bonne volonté et de décision, appartenant aux domaines scientifiques, éthiques et spirituels. Il devrait laisser émerger, d’une expérience commune et pourtant toujours différente du désert, les grands axes de l’existence humaine au service de la Paix. Vue la qualité des personnes rencontrées à Istanbul, nous ne pouvons qu’espérer que s’y réalise un tel projet.

Pour vivre de notre paradigme – En 1998, la « Transfiguration » est considérée comme le paradigme des Artisans de Paix : « Comme Moïse, Jésus et Elie s’entretiennent au sens fort où ils se tiennent ensemble, Juifs, Chrétiens et Musulmans sont invités à s’entretenir. Et ceci devrait transfigurer la matière du monde ». Elie est considéré par les Artisans de Paix, comme initiateur de leur vie spirituelle, mystique, dans la diversité de leurs traditions. Le dialogue dans la prière, avec lequel nous espérons une transfiguration, est un dialogue du salut qui ne s’achève que lorsque la Réalité ultime (Dieu pour certains) choisit de combler la prière. Ce dialogue du salut est un laboratoire des transfigurations de notre désir et par là même, il peut concerner le monde. Il constitue la base sur laquelle les Artisans de Paix sont invités à se donner le temps pour se poser, réfléchir et agir. C’est sur cette base que nous sommes entrés en résonnance avec des Derviches tourneurs à Istanbul. La Sheikha Nur Artiran nous a accueillis dans sa maison où nous avons goûté une anticipation des temps messianiques, en compagnie de frère Alberto Fabio Ambrosio op qui nous a mises en présence. Le soufi, philosophe, ambassadeur, le Pr.Kenan Gürsoy, nous a reçus dans sa Fondation Cenan Vakfi dédiée aux arts et aux lettres de haute voltige, puisqu’ils puisent leur source dans l’inspiration religieuse qui est à la fondation des cultures. Sheikh Neil Kesova est venu nous parler du sema dans la crypte de notre hôtel. Par ces partages, nous sommes entrés en communion spirituelle interreligieuse à Istanbul. La voilà, la transfiguration, hic et nunc.

Pour que se déploient conférences, prières et demeures spirituelles – Ce paradigme de la Transfiguration nous a inspiré des conférences, des travaux inter-scripturaires, des réunions interreligieuses de prières, un séminaire inter-spirituel où sont apparues sept demeures spirituelles. Ces sept demeures spirituelles sont des prémices de la Jérusalem céleste, Cité de Paix, à explorer par chacun(e), autant que faire se peut, individuellement et collectivement. Elles ont inspiré une exploration de la terre sainte : Jérusalem et Bethléem en 2012 et 2013, la Jordanie au lieu du Passage  et l’Arménie en 2014, Istanbul en 2015. L’exploration interreligieuse de ces Demeures spirituelles est l’enjeu majeur, me semble-t-il, d’un Dialogue du Salut avec la Sheikha Nur Artiran. Fr Alberto Fabio Ambrosio op, spécialiste du Dialogue entre mystique chrétienne et mystique soufie, pourrait nous accompagner sur ce terrain.

Pour faire vivre un style – La mission d’Artisans de Paix est d’offrir au monde quelques vivres pour des cheminements de transfiguration ou de Paix. Pour réaliser cette mission, ce qui compte, c’est la façon dont l’artisan(e) s’implique dans l’action, son style. Celui-ci est la trace de son engendrement et exhale le parfum de son engagement. Le style Artisans de Paix s’exprimera dans des créations artistiques, scientifiques, éthiques et religieuses. Chacun(e) pourra y goûter l’orientation du désir qui meut le corps de l’homme (ou de la femme) vers l’ultime (Dieu, la Paix) auquel l’Artisan(e) de paix décide d’ordonner sa vie. N’est-ce pas ce style que nous a donné à goûter l’ambassadeur Kenan Gürsoy dans la Fondation Cenan Vakfi, dédiée à son honorable grand père qui fut un grand maître soufi ? Saurons-nous inventer des voies de coopération ?

Pour accomplir une tâche – La Réalité ultime que certains appellent Dieu, parle dans l’univers, parfois sans bruit de mots, secrètement au fond du cœur, au point de la naissance du souffle, avec un principe de Lumière qui éclaire l’âme. Les Artisans de Paix exprimeront ce principe de Lumière partout dans le monde, pour qu’y vienne la paix. Ils y encourageront l’approfondissement de chaque religion, pour le Bien commun de tous. Ils auront pour tâche de susciter, de soutenir et d’approfondir une spiritualité et une théologie compatibles avec le respect de la personne humaine, dans leurs propres traditions; de susciter aussi un travail dans toutes les disciplines requises pour la paix dans plus de justice: la philosophie, l’épistémologie, l’anthropologie, la cosmologie etc… Ils seront une instance critique concernant les pratiques et les pensées fondamentalistes, les pratiques et pensées relativistes ou confusionnelles, qu’il s’agisse de celles des religions ou de celles des sciences qui tombent elles-aussi, sous le coup de la critique. Ce travail n’est-il pas plus que jamais urgent à Paris, à Istanbul et ailleurs? Nous avons rencontré beaucoup trop brièvement le Professeur. Boghos Levon Zekiyan, mais cette rencontre fut prometteuse et nous pensons à lui pour participer à l’accomplissement d’une pareille tâche, en cette ville carrefour, meurtrie par l’histoire, qu’est Istanbul.

En marche les artisans de paix, plus appelés que jamais à choisir la vie,
dans un monde qui gémit dans les douleurs de l’enfantement.

Paula Kasparian, Présidente des Artisans de Paix.