Lettre trimestrielle 86 - 24/6/2025

La ligne de crête des Artisans de Paix est l’espace éthique et spirituel de l’interlocution des Artisans de Paix qui vient au monde au fil de leur engagement.

Cette ligne de crête est un impératif catégorique au sens où, avec elle, se détermine un espace éthique. Sur cette ligne de crête, chacun est appelé à habiter la place unique qui est la sienne et à parler de ce dont il est témoin et de cela seulement, tout en vivant à la frontière de soi-même et d’autrui, questionnant l’origine et la finalité de la vie, avant le commencement et après la fin de la vie sur cette terre. Il s’ensuit l’impératif catégorique de ne pas exclure, mais aussi de ne pas inclure autrui dans son propos (c’est-à-dire l’interdit de l’absorption de l’altérité), ainsi que l’impératif de ne pas tomber dans un relativisme des valeurs et des religions.

Mais la ligne de crête des Artisans de Paix ne détermine pas seulement un espace éthique. Elle détermine aussi un espace spirituel caractérisé par un univers paradoxal. L’expression « Contrôler l’incontrôlable », présente dans le 3ème engagement des Artisans de Paix, est un bon exemple des paradoxes rencontrés sur cette ligne de crête. L’expression « demeurer » dont il est question dans le cycle 2026 d’Artisans de Paix en est une autre. « Contrôler l’incontrôlable » est un conseil qu’il convient de donner au commencement d’une « Grande Retraite » où le retraitant, se retirant dans la solitude et le silence intérieur durant une période longue, se dispose à écouter l’inouï au sens propre où il se dispose à entendre ce qui n’a jamais été entendu jusqu’alors. Quel sens cette expression « Contrôler l’incontrôlable », contradictoire pour une raison orientée vers les affaires du monde, prend-elle donc quand il s’agit de se mettre à l’écoute de l’inouï et au regard de quelle(s) rationalité(s) ?

Au niveau du simple bon sens de la Raison pratique : l’inouï, le don de Dieu au regard de certains, nous dépasse largement, et cependant, dans notre humanité, nous avons à « contrôler l’incontrôlable », sans quoi nous deviendrions des « fous de Dieu » avec tous les risques de fanatisme que cela comporte.

Une autre façon de comprendre les choses en régime chrétien : Dieu se révèle en Jésus-Christ, Dieu et homme à la fois. Nous avons à accueillir pleinement le don de Dieu et à être pleinement homme (au sens générique du mot). Ce qui signifie « accueillir l’incontrôlable » qui nous dépasse largement et cependant « contrôler l’incontrôlable » en restant humain : ce qui ne peut pas se faire sans le don du Saint-Esprit. Comme nous l’avons dit en d’autres circonstances, la vie spirituelle est faite de paradoxes. Et pour cause, elle n’est pas fruit de la raison humaine, mais don du Saint-Esprit.

Encore une autre façon de comprendre la même réalité, mais cette fois-ci d’un point de vue rationnel, non pas du point de vue de la rationalité instrumentale (de ce point de vue, c’est incompréhensible), mais d’un point de vue philosophique : c’est toute la différence entre la Raison constituée (instrumentale) et la Raison constituante (ouverte sur la contemplation, à partir de quoi la Raison constituante inaugure de nouvelles catégories qui seront opérationnelles dans une nouvelle Raison constituée). Kant parle du jugement réflexif et du jugement esthétique (dans la 3ème Critique, celle du jugement), à partir desquels opère la Raison constituante qui inaugure de nouveaux schématismes de la Raison pure (constituée).

Du point de vue des Artisans de Paix : Contrôler l’incontrôlable, c’est s’ouvrir à la contemplation du Saint-Esprit et inaugurer à partir de là de nouvelles formes de pensée. C’est la grâce qui a été donnée à Paula Kasparian lorsqu’elle a soutenu une thèse de doctorat de philosophie sur le « Toucher de l’Esprit. Connaissance révélée et connaissance scientifique », une catégorie nouvelle dans le champ académique. C’est la grâce donnée aux Artisans de Paix quand ils élaborent une culture de la Paix sur la ligne de crête des Artisans de Paix, sans s’exclure ni s’inclure, et sans relativisme des valeurs et des traditions.

ÉLABORATION D’UNE DÉONTOLOGIE ET D’UNE ÉPISTÉMOLOGIE POUR LE MOUVEMENT ARTISANS DE PAIX

La trilogie des dialogues Artisans de Paix (du Salut, du Sens et de l’Action) se pose sur la base du dialogue du Salut (entendu en un sens polysémique), c’est-à-dire d’un dialogue inter spirituel dont les réunions interreligieuses de prières et les retraites Artisans de Paix sont l’expérience de base, avec l’horizon eschatologique qu’elles ouvrent : l’annonce d’une unité plurale des Artisans de Paix en marche sur une ligne de crête, basée sur cette règle : ni exclure, ni inclure les autres traditions, ni tomber dans un relativisme des valeurs et des religions. C’est un chemin étroit qui suppose un dialogue du Sens et génère un dialogue de l’Action visant à tisser une toile de Bâtisseurs de Paix tout autour de la Terre. Cette ligne de crête détermine les modalités du mouvement des Artisans de Paix.

Sur cette ligne de crête nous faisons l’expérience de l’universel concret. L’universel abstrait est semblable à celui des clones que nous ne sommes pas. L’universel concret conjugue toujours le singulier (l’être unique que chacun de nous est), le particulier (chacun de nous est enraciné dans une tradition particulière qui n’est pas celle de tous, tout comme chacun de nous a une langue maternelle qui n’est pas celle de tous), l’universel (l’ouverture à tous sans prosélytisme de mauvais aloi, afin d’évacuer toute tentation d’impérialisme d’une religion par rapport aux autres). C’est de l’intérieur de la singularité et de la particularité de chacun et de chacune, que nous sommes invités à nous ouvrir à tous sans syncrétisme, ni prosélytisme de mauvais aloi, sans exclure ni absorber autrui et sans tomber dans un relativisme des valeurs et des religions.

Cette ouverture se produisant en même temps qu’un enracinement qui s’approfondit est le principe du mouvement des Artisans de Paix qui jamais ne finit. Cette ouverture conjointe à un enracinement est celle de la vie des tout-petits. L’universel concret, qui exprime cette conjonction, c’est l’expérience que fait le tout-petit lorsqu’il naît, avant que ne se construise une représentation mentale du monde. La spiritualité des Artisans de Paix est une spiritualité des tout-petits. L’épistémologie qui permet de la concevoir en Occident, c’est l’épistémologie génétique conçue par Jean Piaget au XXème siècle. En partant de l’observation de ses propres enfants avant l’âge de deux ans, puis d’observations de laboratoire, Jean Piaget est devenu le grand penseur de la prise de conscience chez l’enfant et dans les sciences.

Jean Piaget est l’inventeur de l’interdisciplinarité qui permet de penser un phénomène concret, tout en honorant la réduction scientifique de la modernité. L’interdisciplinarité est à mon sens précurseur de l’interreligieux, parce qu’elle permet d’imaginer celui-ci de façon claire et distincte, nous permettant d’éviter certaines tentations de l’interreligieux comme celle de l’illusion d’un trans-religieux qui ferait abstraction de l’enracinement concret des uns et des autres. Ce trans-religieux, nous le goûtons dans nos réunions, mais nous ne devons jamais oublier que nous le goûtons dans nos incarnations respectives. Parmi les critères de discernement de la ligne de crête des Artisans de Paix, il y a toujours la considération d’une conjonction de l’universel avec le singulier et le particulier de chacun. C’est ainsi que nous pouvons élaborer ensemble une culture de Paix, fruit espéré de la diversité de nos rencontres.

Déontologie des Artisans de Paix (pdf)

Paula KASPARIAN
Docteur-ès-Sciences Economiques en Epistémologie et Histoire de la Pensée
Docteur-ès-Lettres en Philosophie,
Présidente des Artisans de Paix